Qu’est-ce qu’un « bon » vin ?

Vaste et passionnante question que nous nous sommes tous déjà posée au moins une fois. Verre à la main, comment et pourquoi qualifier le vin de « bon » ou de « mauvais » ?

C’est justement une question que j’ai récemment exploré pour mes travaux de recherche avec l’Université du Vin de Suze la Rousse. Je vous partage ici mes convictions et votre avis sur le sujet m’intéresse beaucoup.

Bien avant le « j’aime/j’aime pas » comme critère ultime de qualité, j’ai matérialisé mes réflexions sous la forme d’une pyramide. Trois remarques pour en faciliter la lecture :

  • Comme pour la pyramide des besoins de Maslow, une attente ne pourra être satisfaite que si la précédente du niveau inférieure aura été elle-même préalablement satisfaite.
  • La pyramide, structurée en 7 niveaux, présente d’abord des critères objectifs qui se transforment progressivement en bases subjectives.
  • Cette pyramide permet de comprendre le mécanisme d’appréciation d’un vin et ne préjuge en rien de sa réussite commerciale. Faire un vin de qualité est une chose, le faire savoir en est une autre.

Voici la pyramide avant quelques mots d’explication étage par étage :

Pyramide

Niveau 1 : l’absence de défaut

La qualité d’un vin commence par les défauts qu’il n’a pas : piqure acétique (goût de vinaigre), oxydation (goût de pomme blette), casse ferrique (goût de métal), brettanomyces (goût d’écurie), etc. Nous avons la chance d’évoluer dans une époque où désormais, la plupart des vins sont de bon aloi. Grâce à la généralisation du métier d’œnologue et à la technologie, les défauts sont certes toujours présents mais de plus en plus rares.

Deux limites pour ce premier niveau :

  • Sur la base du fameux exemple des brettanomyces, longtemps assimilées à un « goût de terroir » par les professionnels du vin eux-mêmes. Ce n’est que récemment que les arômes d’écurie ont été rapprochés à ce champignon indésirable qui prolifère en raison d’une mauvaise hygiène en cave.
  • Il est aussi possible de penser que la présence d’un défaut puisse apparaître pour certains comme un signe de qualité. Un exemple basé sur l’oxydation : certains inconditionnels de vins natures la recherchent justement comme un signe révélateur d’absence de sulfites.

Niveau 2 : la qualité « organoleptique » (ou équilibre du vin en bouche)

L’absence de défaut au niveau 1 est une condition nécessaire mais pas suffisante car intervient en niveau 2 l’équilibre entre acidité, alcool, glycérol et tanins :

  • La richesse aromatique, la fraîcheur, ou encore la souplesse tannique sont actuellement recherchés. Ceci étant très variable par rapport à la concentration tannique et à la puissance alcoolique autrefois prisées du plus grand nombre.
  • Autre facteur primordial : la constance de cette qualité organoleptique, notamment au regard du volume produit. Il est évident qu’il est plus facile de se concentrer sur une sélection parcellaire de 2 hectares que sur 5 000 hectolitres de négoce. Un exemple de qualité : les 3 millions annuels de cols Guigal en Côtes du Rhône sont d’une homogénéité et d’une régularité admirable compte-tenu des quantités colossales produites.

Niveau 3 : la typicité de la région

On dit souvent qu’un vin doit refléter l’expression de l’endroit où il est né. Qui n’attendrait pas en effet de la vivacité d’un vin blanc de Savoie ? Du fruit d’un vin rouge de la Vallée du Rhône ? De la souplesse d’un Beaujolais ? Les illustrations sont nombreuses et aisément déclinables. Nous projetons tous des attentes stéréotypées avant de débuter la dégustation d’un vin qui se présente à nous. Et c’est la raison pour laquelle peu de gens portent en bouche avant de demander l’origine du vin présent dans leur verre.

Cette projection à une origine est spécifiquement française, voire européenne. Par opposition, les facteurs de qualité d’un vin du nouveau monde sont davantage liés à la technologie, au savoir-faire du vigneron et au cépage. Peu importe où ce dernier aura poussé du moment où la qualité organoleptique attendue est présente et constante.

Niveau 4 : l’âme du vigneron

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En dégustation avec Monsieur Henri Bonneau

« Stop à la parkérisation du vin ! » C’est ce qu’on peut lire ou entendre régulièrement. Derrière ce néologisme se cache surtout une lassitude à retrouver constamment du boisé et du vanillé puisque bien noté par l’institution Robert Parker. Alors certes, ces vins seront sans défaut mais bien souvent tout autant dépourvus de personnalité.

Si les vins se ressemblent tous, que devient l’âme du vigneron ? Une toile de peinture est généralement signée par son auteur. Un cadre IKEA non. Même combat dans le vin car c’est ce supplément d’âme qui projettera le consommateur au-delà du jus de raisin fermenté.

Illustration pratique de l’âme du vigneron : en dégustation cette semaine chez Henri Bonneau à Châteauneuf du Pape, j’ai pu tester avec bonheur ce que l’on me décrivait comme la « patine » Bonneau.

 

Niveau 5 : la qualité « perceptible »

Ce niveau 5 intègre de manière plus intense la notion de subjectivité. C’est pourquoi nous pouvons parler de qualité « perçue » par le consommateur. Il est évident que les données psychologiques entrent en compte au moment des actes d’achat et/ou de dégustation. Voici quelques verbatim recueilli lors de mes récentes dégustations en compagnie d’un public composé de non professionnels du vin :

  • Producteurs : « Les caves coopératives ne font que du vrac, et le négoce, que du mélange de vins »
  • Distribution : « Les vins de grande surface ne sont pas bons par définition »
  • Contenant : « Il n’y a que des mauvais vins en Bag in Box »
  • Prix : « Peut-on seulement apprécier un vin à moins de 5€ ? »
  • Etiquette : « Cette présentation est vraiment jolie. Le vin doit donc être bon »

La liste pourrait encore être très longue (« le rosé n’est pas du vin », « les bouchons à vis sont réservés aux vins de table… »). Ces jugements ne sont pas toujours aussi grossiers ni aussi évidemment annoncés. Mais bien souvent au niveau de l’inconscient ils guideront notre perception du vin au moment de la dégustation.

Niveau 6 : le contexte de dégustation

Cet avant dernier niveau est celui du sommelier que je suis. Au-delà de la qualité intrinsèque du vin, c’est la qualité du service qui fera la différence pour la perception du dégustateur. Quelle histoire du vin m’a-t-on présenté ? Ai-je accès au vin dans un lieu qui me convient ? Suis-je entouré de personnes que j’apprécie ? Suis-je réellement disponible pour prendre quelques instants et apprécier le vin ? Autant de paramètres exogènes qui influenceront le jugement final apporté au vin.

Un exemple type : offrez un verre de Romanée-Conti dans un gobelet en plastique, au milieu du bruit et des odeurs de friture d’un fast food. Je ne suis pas persuadé qu’il sera pas apprécié à sa juste valeur.

Niveau 7 : « j’aime/j’aime pas »

Le critère ultime devant lequel tous professionnels du vin doit s’incliner et laisser le dégustateur s’exprimer : « j’aime / j’aime pas ». A ce stade, plus d’emprise possible : le rationalisme du professionnel tombe face au jugement de la personne qui déguste le vin.

Il est intéressant de souligner que l’on est davantage devant un travail pédagogique et éducatif à réaliser au niveau sociétal. A l’image de toute l’industrie agro-alimentaire où certains consommateurs peu éduqués et peu vigilants en termes de goût acceptent de payer dans certains restaurants des plats industriels réchauffés sur place, ni bons ni mauvais, sans défaut mais sans aucune personnalité non plus…

Et pour vous, qu’est-ce qu’un « bon » vin ?

Etes-vous convaincu par mon approche pyramidale ? J’ai hâte de lire vos commentaires !

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9 Responses

  1. Un vin se déguste certes, mais il doit egalement être consommé ! Durant la phase de consommation, un beau vin ne fait qu’évoluer vers un plaisir qui se développe … contrairement à beaucoup de vins primés qui expriment tout dès les premiers instants puis qui ne font que baisser au fur et à mesure de la phase de « consommation » . On se fatigue et le plaisir s’atténue, il peut même disparaître ! Comment « mesurer » cette dimension essentielle ?

    • Merci Christian pour ce commentaire ! Effectivement vous ajoutez une nouvelle dimension : celle du temps. Peut-être peut on la croiser dans le niveau 2 de la pyramide, au niveau des qualités organoleptiques du vin. Dans l’équilibre en bouche, il y a certes l’équilibre à un instant T mais je devrai également ajouter son maintien voire son renforcement lors de la dégustation / consommation du vin année par année. Merci encore pour l’enrichissement du modèle !

  2. LE BARS dit :

    La pyramide de MASLOW , ….suis pas trop surpris de voir Sébastien structurer sa passion sur le vin via un tel outil… celà dit si , tous les niveaux sont importants…ex absence de défaut…pour autant , d ‘autres questions se posent : le flacon est t’il ouvert à l’optimum ?
    un certain millésime demandera un peu d’aération, d’autres bp plus ( on peu du coup avoir des avis différents sur un MEME VIN ) ; l’impact du vigneron ? ça joue dans les 2 sens…bien ou – bien selon le personnage…et il nous arrive assez souvent de déguster et d apprécier un vin sans connaitre le vigneron..
    mon avis , c’est que ( pour moi ) ts les niveaux n ‘ont pas le mm impact , pour moi , la TEXTURE du vin apportera le supplément d ‘ame… ( l’émotion que j ‘ai ou que je n ai pas…) un hermitage de rhone septentrional , dégusté à son optimun ( mill , temp ) on s’en souvient…bravo en tout cas Sébastien , à tres bientot. M LE BARS

    • Merci Michel !

      Tu sais, la démarche de compréhension et d’analyse du sommelier n’est pas si éloignée de celle du consultant 😉

      Tous les niveaux sont importants, c’est vrai et je suis également d’accord pour dire que chacun les pondérera selon ses priorités personnelles. Apparemment, tu attaches une grande importance (et à juste titre) à la dimension texture et donc qualité et quantité de la présence tannique. Celle-ci est bien sur liée au travail amont du vigneron mais comme tu le soulignes aussi à la date d’ouverture de la bouteille. Cela reste pour moi analysable via le niveau 2 de la pyramide sur les qualités organoleptique du vin.

      On s’en reparle prochainement autour d’un bon verre d’Hermitage ?
      Amitiés.

  3. ravard dit :

    Bonsoir Sébastien,
    Une approche extrêmement intéressante, mais dont la conclusion se limiterait à « un travail pédagogique et éducatif à réaliser au niveau sociétal » afin de faire évoluer la subjectivité de chacun vers un peu plus de rationalité. Certes cette remarque est juste, mais elle omet un critère tout autant subjectif mais contre lequel on ne peut lutter  » les goûts personnels ».
    Pour citer mon exemple, je n’aime pas le sucré. Et dans un vin ce critère devient rédhibitoire. J’ai eu le privilège de déguster dernièrement un Château Suduiraut 2009. L’expert a suivi de façon schématique ton approche. Au final, je l’ai trouvé sucré et je confirme » j’aime pas….le sucré » quelque soit le prix du nectar, ses non défauts, son histoire etc….
    Il y a une antithèse à ces remarques et qui rejoint parfaitement ta conclusion. la plupart des cavistes feraient bien de s’inspirer de ton approche mais de façon inversement proportionnelle (on commencerait par le j’aime / j’aime pas) avec un approche de découverte et de compréhension des goûts de ses clients, à la fois pour l’orienter mais aussi pour l’éduquer.
    Rare sont les cavistes (voir aucun) qui m’ont posé les questions suivantes: Qu’est ce qui me fait dire que j’aime ou pas un vin? quelles émotions me procurent ce vin? Quelles émotions j’attends d’un vin? Chaque réponse permettrait certainement de descendre dans la pyramide pour aider la plupart des néophytes à construire sa connaissance du vin, à mieux comprendre ses goûts et au final mieux orienter ses choix.

    • Cher Stéphane,

      Merci beaucoup pour ton message et ton point d’attention sur les goûts personnels.

      Château Suduiraut, c’est un Sauternes très moelleux – lapsus 😉 Si ce type de vin est dégusté trop chaud, il devient vite pâteux – indépendamment de l’attirance que l’on a ou pas pour le sucre.

      Je suis entièrement d’accord avec toi sur la faiblesse du questionnement sur les attentes personnelles autour du vin au moment de l’achat. Dans ce cas, quelle valeur ajoutée le professionnel a-t-il par rapport à GD ? Si un jour je me lance dans la distribution du vin, tu peux me faire confiance que j’intégrerai justement cette pédagogie gustative et émotive !

      A suivre donc !

  4. Jonathan dit :

    Salut et Bravo Sébastien pour ce travail… Je retrouve la structure qu’il me semble te caractérise !
    Je partage pleinement ton analyse en beaucoup de points.
    Le comparatif entre Ikea et le tableau de maître par exemple.
    La transition est pour moi toute trouvée avec un point qui me paraît important : le phénomène de rareté.
    Je dis souvent en parlant du foncier (bien-sûr) qu’on quitte la raison et le rationnel en entrant dans des appellations comme l’Hermitage, la Côte-Rotie… (pour rester en CDR sept mais toutes les régions ont leurs exemples)
    On se trouve dans la passion, la quasi-folie d’un passionné qui court après une toile de maître… Le prix ? pourquoi en parler… !
    On retrouve cette dimension jusque dans le vin à la main du consommateur, qui restera prudent (pour ne pas dire autre chose) dans son exercice de dégustation et à la lecture de ce qu’il boit, et ce, quelque soit son niveau.
    Toujours à partir de ce même exemple et je m’arrêterai là car le sujet est immensément vaste, je crois que Robert Parker existe pour les mêmes raisons qu’Ikea existe.
    80% (pour reprendre un règle que tu connais surement) de la masse consommatrice à besoin de repères et n’aime pas forcément le changement.
    A partir de ce constat, certains ont mis en place des standards, nés de grandes études et installés par de grands plans marketing.
    Nous ne sommes plus ici pour moi (même si je vais à Ikea et s’il m’arrive d’acheter des vins notés par R.Parker) dans ce que revêt le vin comme produit extraordinairement riche et diversifié.
    Si on sort de l’évaluation technique et objective d’une dégustation entre professionnels avertis, trop de paramètres entrent en jeu, des racines de la vigne jusqu’au verre, pour qu’on puisse tenter une définition du bon vin.
    Un vin est bon donc, toujours aux « yeux » de celui qui le déguste

  5. Antho dit :

    Je suis entièrement d’accord avec votre approche concernant les notations des vins. Maintenant de plus en plus de personnes vont choisir leurs vins en fonction des notations et des prix. Une approche qui accentue encore le fossé entre consommateurs et viticulteurs…
    J’ai, pour ma part, eu la chance de goûter différents vins chez un caviste à proximité de Sedan, il faut dire que lors de la dégustation l’important reste de laisser place à ses sensations. Il faut oublier l’ensemble des notations du vins et le juger avec sa propre perception.
    La comparaison avec IKEA est très bonne, la qualité d’un vin ne peut pas être jugé par les autres, les goûts et les couleurs ça ne se discute pas.
    Je vais reprendre la phrase @Jonathan :
    « Un vin est bon donc, toujours aux « yeux » de celui qui le déguste »

  1. 3 décembre 2014

    […] Pas évident comme exercice : les échantillons se sont vite enchaînés (à peine 2 minutes par vin). Autre difficulté : sur quoi se fonder pour juger le travail du vigneron ? Sur la façon dont un vin est censé représenter son appellation ? Sur un « goût » personnel ? Cf pour cela ma définition d’un « bon » vin. […]

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